Dans de nombreuses situations, vos tripes vous donnent des indications utiles. Mais souvent, il n'est pas évident de capter ce que votre intuition veut vous communiquer. Pour y remédier, deux psychologues de l'Université de Zurich ont inventé le bilan affectif.
Dans notre cerveau, deux systèmes sont à l'œuvre. L'un est votre esprit analytique conscient et l'autre fait son travail si discrètement que vous vous en rendez rarement compte. Les psychologues et les psychanalystes l'appellent l'inconscient. D'autres personnes parlent des tripes ou de l'intuition. Ce système inconscient a un accés direct et immédiat à toutes vos expériences vécues. Grâce à son accès à ce savoir immense dans une fraction de seconde, il peut vous fournir des conseils utiles, comme je l'ai expliqué dans mon article sur les deux systèmes.
Les marqueurs somatiques
Malheureusement, votre inconscient ne communique pas ses conclusions dans un langage clair et univoque. Ses messages passent par votre corps. Le neuroscientifique Antonio Damasio les nomme « marqueurs somatiques ». Vous pouvez les ressentir dans votre corps, par exemple sous la forme d'un sourire sur vos lèvres, d'épaules tendues ou d'une boule à l'estomac. Ces messages, en tant que sensations corporelles et émotions, sont plutôt diffuses et difficiles à percevoir et à interpréter, alors que ceux de votre raison sont précis et clairs. C'est pourquoi vous ne les remarquez souvent pas ou vous ignorez comment déchiffrer ces informations floues.
Le côté affectif des marqueurs somatiques
À l'université de Zurich, les psychologues Dr Maja Storch et Dr Frank Krause ont créé une autre méthode pour accéder aux conclusions de votre inconscient. Ils profitent de la particularité que les marqueurs somatiques n'ont pas seulement une composante physique qui peut être ressentie dans le corps. Mais qu'il existe aussi une composante affective, qui comprend l'évaluation selon les critères « agréable » et « désagréable ». Celle-ci est plus facilement accessible que les sensations corporelles diffuses. Pour rendre visible cet aspect affectif de l'inconscient, les deux psychologues ont créé le « bilan affectif ».
Le bilan affectif a plusieurs avantages :
Il permet à chacun d'explorer lui-même son propre inconscient sans devoir consulter un·e professionnel·le.
Le bilan affectif est une alternative à la conversation sur les émotions et il est très agréable pour les personnes très rationnelles.
Il s'agit d'un accès cognitif aux émotions, qui convient aux personnes plutôt intellectuelles et à celles qui ont des difficultés à nommer leurs ressentis.
Distinguer les émotions négatives et positives
En général, on s'imagine que les émotions positives sont le contraire des émotions négatives. Cette conception des émotions peut être représentée par cette échelle :
Cette échelle part du principe que nous nous sentons automatiquement mieux quand nous nous éloignons d'une émotion négative. De votre propre expérience, vous vous êtes probablement déjà rendu compte que cela n'est (malheureusement) pas le cas. De plus, cette représentation ne reflète pas du tout le fonctionnement de votre cerveau.
Deux circuits indépendants
Dans le cerveau, les émotions positives sont générées par un circuit distinct de celui destiné aux émotions négatives. Le système de récompense, dans lequel est notamment produite la dopamine, fournit les émotions positives. Le système de punition, qui produit entre autres l'hormone de stress cortisol, est responsable des émotions négatives. Dans le cerveau, le noyau accumbens est impliqué dans la création des émotions positives. Par contre, l'amygdale joue un rôle important dans l'autre circuit.
Les deux systèmes peuvent être activés en même temps. Cela explique bien pourquoi nous pouvons avoir des émotions mitigées face à un sujet. Les émotions positives et négatives et leur intensité doivent donc être évaluées en parallèle. Pour ces raisons, il est nécessaire d'utiliser deux échelles séparées pour visualiser les émotions positives et négatives.
La conception du bilan affectif
Pour faire un bilan affectif, vous tracez deux lignes verticales, l'une à côté de l'autre. Celle à droite sera consacrée à l'émotion négative et l'autre à l'émotion positive. En bas de chaque échelle, vous écrivez le chiffre « 0 » (pour zéro émotion) et en haut le chiffre « 100 » (pour le maximum d'émotion). Le bilan affectif se présente comme suit.
Vous êtes peut-être surpris de ne pas voir de graduation. Cela est tout à fait intentionnel, puisqu'il s'agit d'une échelle visuelle analogique. À quoi sert-elle ? La présence d'une graduation, comme 50, 70 ou 30, active votre raison. Sans graduation, votre raison ignore comment répondre et laisse l'évaluation à votre inconscient qui n'a pas besoin de graduation ni de chiffres. Il est important de répondre spontanément afin de ne pas commencer à réfléchir pour trouver la « bonne » réponse, ce qui gâcherait le résultat.
Sans réfléchir, vous placez donc sur la ligne de gauche un marquage pour l'intensité de l'émotion négative et sur la ligne de droite un marquage qui représente l'intensité de l'émotion positive. Un coup d'œil suffit pour connaître l'intensité de chaque émotion. Si vous voulez, vous pouvez utiliser vos deux index et les bouger vers le haut ou vers le bas sur les deux lignes, comme s'il s'agissait de deux boutons sur une table de mixage. Vous vous arrêtez, quand cela vous semble approprié. Si besoin, vous pouvez ensuite convertir vos marquages en nombres entre 0 et 100.
Un score très personnel
Si par rapport à un certain sujet, vous n'avez vécu que des choses positives, le bilan affectif sera -0 et +100. En revanche, si vous n'avez eu que des expériences négatives dans le passé, le bilan sera de -100 et +0. Pour la plupart des thèmes, vous avez des sentiments mitigés. Deux exemples classiques pour des émotions mixtes : obtenir un poste prometteur dans une nouvelle entreprise peut susciter des émotions mitigées, tout comme l'arrivée du premier enfant. Du reste, certaines activités quotidiennes ne suscitent normalement guère d'émotions, ni positives, ni négatives, par exemple se laver les mains.
Le résultat du bilan affectif est tout à fait individuelle, car il se base sur le vécu qui diffère tout simplement d'une personne à l'autre. Quand vous demandez à quelqu'un quels aliments il déteste, il mentionnera peut-être un des produits suivants : foie, choux-fleur, goulache, fruit de mer, céleri, tofu, poivron, cardamone. Cependant, d'autres personnes vous donneront des réponses différentes. Les préférences varient d'une personne à l'autre, et il est souvent impossible d'en trouver la cause. Il n'y a aucun sens de vous justifier pour vos préférences ou pour vos aversions.
Découvrir le bilan affectif
Le bilan affectif est probablement un concept tout à fait nouveau pour vous. Je vous invite à le découvrir à travers les étapes suivantes :
Cherchez des situations, objets et personnes qui ne génèrent que des émotions positives (-0 et +100).
Trouvez des situations, objets et personnes qui produisent en vous que des émotions négatives (-100 et +0).
Faites ensuite votre bilan affectif pour les choses suivantes : pizza, vacances, travail, randonnée, chaleur, rouler à vélo, aller au cinéma.
J'espère que cet exercice vous a donné une idée du fonctionnement du bilan affectif.
Une alternative aux listes pour et contre
Parfois, les gens pensent, surtout lorsqu'il s'agit de prendre des décisions difficiles, qu'ils peuvent trouver la solution en réfléchissant de manière excessive. Ils dressent des listes pour et contre, sans pour autant parvenir à une décision. Le bilan affectif vous offre une méthode bien différente.
Si vous souhaitez prendre une décision importante, le bilan affectif permet d'obtenir un deuxième avis, et ainsi de compléter vos analyses conscientes. Si vous arrivez à la même conclusion avec les deux approches, les deux systèmes sont en accord et vous indiquent la bonne décision à prendre.
Lorsqu'il y a une divergence, il vaut normalement la peine de creuser et de chercher des raisons qui, du point de vue de l'inconscient, pourraient être en faveur ou en défaveur d'une option. Cela vous permettra de mieux comprendre vos résistances intérieures afin de les intégrer dans vos réflexions. Au final, vous parviendrez ainsi à une décision qui vous correspondra davantage.
Même pour une décision insignifiante au quotidien, un bilan affectif peut être utile, car il réduit le temps nécessaire pour prendre une décision. Si j'ai deux options, par exemple aller voir un film au cinéma ou non, au lieu de réfléchir longuement, je peux rapidement faire un bilan affectif.
Rôle du bilan affectif dans le ZRM
Le bilan affectif joue un rôle essentiel dans la gestion de soi du « Zurich Resource Model » ZRM, développé par les Maja Strorch et Frank Krause. Il permet de déterminer facilement ce que l'on veut vraiment, car avec cet outil, on peut explorer les intentions de son inconscient. Si vous écartez votre inconscient, vous courez le risque qu'il vous sabote dans la réalisation de vos objectifs, même si ceux-ci sont bien réfléchis.
Dans le ZRM, on recherche des ressources (images, mots, phrases, rappels, etc.) qui soutiennent une personne dans son projet. En ce qui concerne une ressource, il est primordial qu'elle génère une forte dose d'émotions positives, mais aucune émotion négative. Dans le bilan affectif, la colonne de gauche doit donc être à zéro et celle de droite atteindre au moins 70. Si les sentiments sont mitigés, il faut laisser de côté une ressource. C'est la seule façon de s'assurer que les ressources auront l'effet désiré.
Le bilan affectif dans le coaching
Dans le coaching, le bilan affectif est également un outil formidable.
Lorsqu'une personne exprime qu'elle n'a que des émotions négatives (ou positives) par rapport à un sujet, le bilan affectif permet de vérifier s'il n'y a pas d'autres émotions dont la personne ne se rend pas compte.
Lorsqu'une personne ne trouve pas les mots justes pour exprimer ses sentiments par rapport à une situation, le bilan affectif constitue une autre voie d'accès aux émotions.
Le bilan affectif peut aider une personne confrontée à deux options à se décider pour l'une ou l'autre (ou aucune).
Avant de faire le bilan affectif avec une personne, il est nécessaire de s'assurer qu'elle a compris le concept et qu'elle peut l'appliquer. Il est donc recommandé de commencer par un petit exercice en cherchant des choses qui déclenchent les émotions -100 | +0 puis -0 | +100.
Le bilan affectif – un outil précieux
Le bilan affectif vous permet de clarifier et d'ordonner vos émotions. Lorsque vous utilisez cette méthode, il est important que vous placiez au plus vite vos marquages d'intensité sur les deux échelles. Sinon, votre bilan sera faussé par votre raison et sera donc sans valeur.
Le bilan affectif ne remplace pas du tout les réflexions autour d'une décision. Mais il vous offre un autre regard sur une situation. D'après mon expérience, cette méthode permet normalement d'arrêter les ruminations liées à une décision et de retrouver une réelle sérénité. Elle aide également les personnes qui ont régulièrement des difficultés à se décider, en leur permettant de prendre des décisions plus satisfaisantes plus facilement.
Je vous recommande vivement d'essayer de vous servir régulièrement du bilan affectif, soit pour des décisions très banales, soit pour des décisions importantes.
Source (en allemand) : STORCH, Maja, KRAUSE, Frank et WEBER, Julia, 2022. Selbstmanagement – ressourcenorientiert: Theoretische Grundlagen und Trainingsmanual für die Arbeit mit dem Zürcher Ressourcen Modell (ZRM®). 7., überarbeitete Auflage. Bern : Hogrefe. ISBN 978-3-456-86214-9.
Article de Beát Edelmann, coach et formateur, expert en gestion de soi, analyse de la personnalité et neurodiversité (autisme et TDAH), fondateur d'Abundana, Institut pour la gestion de soi à Genève et à Berne.
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